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Le Francophone.
27 juin 2008

Choisir l’avenir, bâtir l’indépendance

Par Kä Mana

Plus je réfléchis sur l’indépendance qui a été octroyée au Congo par la Belgique en 1960, plus il me devient clair qu’elle n’a pas à être considérée comme un repère majeur à célébrer dans la vie de notre nation. J’ai acquis la conviction qu’il n’est pas nécessaire d’en perpétuer la mémoire de manière positive ni d’en revitaliser avec joie le contenu devant les tâches qui s’imposent à notre pays maintenant.

Nous le savons tous et toutes : cette indépendance n’en a pas été une, ni du côté de la Belgique, qui n’a jamais cru en un transfert global de destin aux Congolais, ni du côté des Congolais, qui n’ont jamais réfléchi profondément à ce qu’être indépendants devait signifier pour nous.

S’il y a un quelconque sens à donner aujourd’hui à la journée du 30 juin 1960, il consiste à mettre en lumière le marché ambigu et faux que l’autodétermination politique du Congo fut dès le début de la première République. Il consiste aussi à penser radicalement les conditions d’une indépendance réelle pour nous maintenant. Il consiste enfin à poser les bases d’une nouvelle société à bâtir, à partir des leçons que nous devons tirer de notre expérience malheureuse de près de cinquante ans de pseudo-autonomie globale.

En fait, toute notre réflexion devrait nous conduire à prendre conscience du fait que notre indépendance est devant nous et non derrière nous. Elle est en nous non pas comme un don reçu ou une victoire arrachée il y a quelques décennies, mais comme une exigence indestructible à assumer maintenant, un projet vital à accomplir face à l’avenir, dans un contexte mondial dont nous devons maîtriser les arcanes pour ne pas continuer à célébrer chaque année la coquille vide du 30 juin 1960.

UN LEURRE FUNESTE POUR NOTRE PAYS

Il est frappant de constater que l’indépendance qui nous fut octroyée ce jour-là a été pensée et célébrée en termes essentiellement politico-politiciens, ou plus exactement, dans un jeu de dribles dont les cérémonies mêmes de célébration de notre autodétermination ont manifesté l’ambiguïté et la fausseté.

Ce fameux jour de notre libération, le Roi des Belges, Baudouin I, fit un discours d’une effarante incongruité : il présenta l’indépendance du Congo comme l’aboutissement d’un long processus de civilisation lancé par son valeureux ancêtre Léopold II, pour le bien des Congolais. Il magnifia l’œuvre civilisatrice de la Belgique dont il tirait gloire. Il prétendit, avec l’inauguration de notre indépendance, ouvrir de nouvelles perspectives de coopération entre la Belgique et notre nouvelle République, pour le grand bonheur de nos deux peuples.

Pour qui pouvait savoir lire entre les lignes des euphémismes diplomatiques du Souverain belge, une telle falsification de l’histoire ne pouvait être qu’un discours à double sens. Il visait, en un premier sens, à apaiser l’inquiétude des Belges en leur disant que la nouvelle période qui commençait ne serait pas différente de la précédente, dans la mesure où la grande œuvre civilisatrice continuerait selon les mêmes rapports des forces. En un deuxième sens, il s’agissait d’endormir quelque peu les Congolais en leur faisant comprendre que leurs colonisateurs ne leur voulaient que du bien, pour le meilleur des destins possibles.

A ce mensonge, le premier président du Congo indépendant, Joseph Kasavubu, répondit par un mensonge plus monumental encore : il fit semblant de faire la même lecture de l’histoire congolaise que le Souverain belge. Il fit semblant de voir le présent et l’avenir sous les mêmes auspices et de vouloir s’inscrire dans les mêmes horizons d’une vie paisible entre le Congo et le Royaume de Belgique. Il obéissait ainsi aux règles d’une diplomatie où les mots doivent demeurer ambigus et garder une aura feutrée qui ne choque personne, surtout pas un hôte de marque comme l’était Baudouin I ce jour-là.

Patrice Emery Lumumba crut jouer le jeu de la vérité en présentant l’indépendance comme l’aboutissement d’une haute et grandiose lutte, le fruit de l’héroïsme du glorieux peuple congolais. Il pensait ainsi l’autodétermination de notre peuple sous le modèle de quelque chose qui s’arrache, et beaucoup moins comme une réalité qui se construit selon une durée déterminée par l’avenir, dans une volonté ferme de se confronter résolument à des tâches où la politique en tant qu’action pour la liberté n’aurait de sens que si elle est adossée aux exigences de ce que Hannah Arendt appelle le travail et l’œuvre. C’est-à-dire la capacité de répondre par soi-même et pour soi-même aux besoins primaires de la vie (se nourrir, se vêtir, se loger, éduquer ses enfants) et l’ardeur de construire un monde qui dure, une culture et une civilisation dont les réalisations dépassent la simple durée de la vie humaine. En ne comprenant pas que travail, œuvre et action se rythmaient ensemble, Lumumba montra sa cécité politique et l’incapacité, qui le caractérisa tout au long des mois suivants, de comprendre que la cérémonie du 30 juin n’était qu’un vaste théâtre tragi-comique. Plus tragique que comique d’ailleurs, dans la mesure où s’y cachaient plus que ne s’y révélaient des contre-sens dont nous ne sommes pas encore sortis : nous célébrions une indépendance sans disposer de réelles capacités d’indépendance ; nous solennisions une libertés sans disposer de bases mêmes de la liberté ; nous nous attachions à l’ombre pendant que la proie nous échappait. Pour avoir manqué l’intelligence capable de saisir ces réalités et de déceler les vraies intentions de la Belgique dans le monde tel qu’il fonctionnait en 1960, Lumumba s’offrit à l’immolation sur l’autel des intérêts occidentaux, poussant ainsi les Belges et ses alliés à ajouter à la falsification de l’histoire un crime abominable qui hante, aujourd’hui encore, toute la mémoire congolaise et toute la conscience de l’humanité : l’ignoble assassinat du premier ministre congolais et de ses compagnons, Okito et Mpolo.

Les élites congolaises de cette époque, les fameux « évolués », qui n’étaient dans l’ensemble que des petites « fabrications » des colons pour des tâches subalternes, voyaient dans l’indépendance l’occasion de remplacer leurs « maîtres et seigneurs » : d’habiter leurs maisons, de chausser leurs bottes, de manger leurs mets, de boire leurs boissons, de rouler dans leurs voitures, d’imiter leurs manières, de jouir des mêmes avantages qu’eux et de bénéficier eux-mêmes du statut de « maîtres et seigneurs » face aux populations.

Quant au peuple congolais dans son ensemble, il chantait et dansait l’indépendance dans un contre-sens abyssal : il ne savait pas de quoi il s’agissait, il croyait entrer dans l’ère nouvelle de l’insouciance, de la farniente jubilatoire et de la vie éternellement jouissive, avec des princes prestidigitateurs noirs qui transformeraient la terre congolaise en un Eden éblouissant.

Le malentendu était donc total entre les protagonistes du 30 juin 1960. Entre le double langage du Roi belge, la roublardise du président congolais, la naïveté d’un premier ministre imprudent, l’étourderie des « évolué » impatients et la liesse béate d’un peuple complètement inconscient de ce qui se passait sous ses yeux, le dialogue qui se tissait était pire qu’un dialogue des sourds : c’était un marché des dupes, une séance d’abracadabras voudouvoudouesques.

Quel nom peut-on donner à une indépendance obtenue dans ces conditions ? Un leurre. Un leurre piteux et pitoyable, dont les Belges surent tirer les ficelles en vidant notre autodétermination politique de tout contenu, de toute substance, de tous sens.

Parce qu’ils avaient bel et bien entendu le discours de leur souverain, ils savaient qu’ils venaient de nous « fourguer » une coquille vide. Ils savaient surtout que nous n’avions ni les moyens militaires, ni les forces intellectuelles, ni la maîtrise économique et administrative nécessaire à la gestion d’un Etat moderne. Ils savaient que nous venions d’entrer dans l’ère de la néo-colonisation. Et ils mirent tout en œuvre pour que cette ère leur soit bénéfique : ils divisèrent nos leaders, ils assassinèrent ceux qui voulaient l’indépendance réelle et ils inventèrent Mobutu, le symbole de la nouvelle ère de dictature de plomb dont nous allions souffrir trois décennies durant. Ils bénéficiaient pour cela d’un atout de taille . l’Occident dans son ensemble, dans le contexte d’une guerre froide où notre pays représentait un enjeu géostratégique de première importance. C’est ainsi que de l’indépendance, nous n’eûmes que le nom. Le nom, et rien d’autre qui aurait pu nous donner à vivre notre vie nationale sous d’autres auspices que ceux de la domination coloniale sous la férule d’un nouveau « roi nègre », le démoniaque génie de Gbadolite.

LE PROJET QUI FUT DETRUIT

Ne croyez pas que nous fûmes tous dupes. Certains parmi les acteurs sociopolitiques de ce temps-là ont eu l’idée exacte de ce dont il s’agissait dans l’enjeu de l’indépendance et qui fut trahi dès le 30 Juin 1960. Je pense particulièrement à ceux qui composèrent notre hymne nationale. Il y a dans cette hymne un vrai projet de nouvelle société, placé sous le mot d’ordre : «Debout congolais !».

Se mettre debout, «dresser nos fronts longtemps courbés», prendre «le plus bel élan dans la paix», peupler « notre sol » et assurer « sa grandeur », c’est de cela qu’il s’agissait, et nous n’avons réalisé rien de tel depuis ce 30 juin du « beau soleil », ce « jour sacré de l’immortel serment de liberté » que nous étions censés léguer « à notre postérité pour toujours ». Nous n’avons pas compris que nous étions « unis par le sort » non pas pour une fiction de liberté dans le contexte néo-colonial où les Belges et les Occidentaux nous mèneraient constamment en bateau, mais pour bander nos forces créatrices « dans l’effort pour l’indépendance ». Elle est capitale, cette expression « effort pour l’indépendance ». Aux premières heures de notre volonté d’autodétermination, il nous fallait comprendre qu’il ne s’agissait pas de nous installer dans un quelconque état de béatitude octroyée ou arrachée, mais d’assumer une destinée et de construire un destin, avec ce que cela exige de « labeur » et d’élan « ardent » pour « bâtir un pays plus beau qu’avant ».

Les compositeurs de notre hymne nationale, Boka et Lutumba, nous proposaient ainsi une rupture. En revanche, les Belges nous imposaient une continuité.

Les élites et le peuple choisirent, consciemment ou inconsciemment, de s’inscrire dans la continuité en jouant le jeu de divisions, de sécessions, de tribalismes stupides, de guerres civiles et, au bout de tout, d’acception de la dictature mobutiste comme cadre de notre sort néo-colonial, le tombeau de notre indépendance.

Les valeurs qui devaient être celles d’une véritable liberté, nous n’avons pas pu les forger. Nous n’avons pas pu vivre conformément au projet de notre hymne nationale ni nous donner la force de mesurer constamment notre situation à l’aune de la vision que les plus visionnaires d’entre nous avaient de notre destinée et de notre avenir.

Notre drame a été de n’être pas entrés véritablement dans ce projet et de n’avoir pas pu en incarner les exigences. Mais le pouvions-nous ?

CONDITIONS POUR UN DESTIN D’INDEPENDANCE

Je ne crois pas que nous le pouvions. Pour être à la hauteur d’un tel idéal, il fallait situer le problème de l’indépendance au niveau le plus fondamental : celui de notre être même. Là, et non seulement à l’échelle de la « politicaillerie » indépendantiste où n’était engagé aucun effort de pensée sur ce que nous sommes réellement dans nos rapports avec nos colonisateurs devenus nos néo-colonisateurs.

Quand je me situe à cette échelle du fondamental, je comprends que le problème de l’échec de notre projet d’indépendance réside principalement dans nos systèmes de désir. Elites comme peuple, nous avons été pris dans un mimétisme du désir qui nous poussait à être et à vivre selon le mode de vie de ceux-là mêmes qui étaient nos « maîtres et seigneurs ». Il y avait en nous comme un envoûtement qui nous poussait à nous inscrire dans la perspective de faire de la Belgique notre modèle, et de l’Occident, notre guide, dans nos modes de vie. C’est à ce niveau que les Belges nous ont dominés et ont vidé notre indépendance de son ressort. A partir du moment où l’aspiration la plus profonde du Congolais était d’être comme le Belge et de rassembler à l’homme d’Occident, c’est de l’intérieur que nous étions piégés : la Belgique et l’Occident ne pouvaient pas sortir de nous ni partir de nos têtes. Nous étions comme des esclaves singeant leur maître, intériorisant ses valeurs et prenant ses normes comme la seule voie d’humanité. Pour un tel esclave, la liberté ne peut avoir aucun sens. Le Belge, l’Occidental, savait cela : il avait toujours en mémoire l’expérience des « évolués » qui étaient fiers d’avoir rompu avec les milieux coutumiers, d’avoir accédé au monde du Blanc dans une comédie de style « peau noire masques blancs », ce jeu dramatique où Franz Fanon voyait clairement comment l’aliénation anthropologique du nègre empêchait toute libération en profondeur. Il suffisait de continuer l’expérience en créant une nouvelle classe des maîtres noirs du Congo pour que le tour soit joué et la présence européenne en RDC assurée pour de longues décennies encore.

L’école néo-coloniale servit à cela. Les élites et le peuple y virent un moyen d’ascension sociale et le vivier où grandiraient des esprits brillamment aliénés et extravertis, qui allaient servir pour longtemps les intérêts des Blancs. L’astuce fut de mettre toutes les élites formées dans l’école occidentale entre les griffes d’une dictature brutale capable de les corrompre et de les dominer pour qu’il n’y ait pas d’indépendance du tout.

Je n’ai pas d’autre justification du régime de Mobutu que celle de cet ordre néo-colonial qui se nourrit du système d’aliénation et d’extraversion du peuple et des élites, pour mieux exploiter un pays fabuleusement riche. A partir du moment où un tel régime a pu s’imposer à nos esprits et mettre sur pied des mécanismes de coercition qui ne rendaient aucune véritable initiative de libération possible ; à partir du moment où les maîtres noirs du système local ont adopté le mode d’être du colonisateur et ont considéré son mode de vie et son système de l’argent comme le centre de tout ; à partir du moment où le peuple a intériorisé ce modèle et s’est laissé corrompre dans son être, l’indépendance n’avait aucun sens comme volonté d’être et de vivre par soi-même, de répondre soi-même aux problèmes que l’on affronte en puisant dans ses propres ressources intellectuelles, éthiques et spirituelles de quoi assurer la grandeur de son propre pays et son rayonnement dans le monde.

De Mobutu à la troisième République, nous sommes dans cette aliénation et dans cette extraversion de notre système du désir. Il suffit de voir comment la nouvelle classe politique, issue de l’invasion du pays par le Rwanda et l’Ouganda, s’est empressée de s’enrichir et de vivre à l’occidentale, pour savoir que c’est notre être même qui est pourri et qui est le vrai obstacle à notre indépendance. Aujourd’hui, du sommet de l’Etat à toutes les instances de nos institutions, l’enrichissement rapide et l’ostentation dans l’opulence sont devenus les symboles de la réussite. En le devenant, ils indiquent que nous sommes dans le système du profit individualiste et égoïste par lequel l’ordre néo-colonial a fabriqué des êtres sans solidité ni capacité d’être eux-mêmes parce qu’ils ne peuvent vivre qu’avec « l’argent des Blancs » qu’ils volent, détournent et dilapident en sacrifiant leur propre peuple. Ce peuple malheureux qu’ils ont hypnotisé en faisant miroiter devant lui les richesses d’une modernité sans solidarité.

L’aliénation et l’extraversion de nos désir impriment ainsi un type de mentalité et sécrètent une forme spécifique d’imaginaire : celui d’esclaves et de zombies. J’entends par là des hommes qui ne peuvent plus ni penser par eux-mêmes, ni agir par eux-mêmes, ni imaginer leur avenir par eux-mêmes. Mobutu, qui en était le prototype parfait les désigner par des expressions qu’il maniait avec dextérité sans jamais avoir le courage de se les appliquer à lui-même : des êtres ayant une « âme d’emprunt », qui parlent un « langage d’emprunt » et vivent, en fait, une « vie d’emprunt ». Une telle « personnalité d’emprunt », souvent caricaturale dans ses singeries, ne peut mener qu’une « politique d’emprunt » qui livre le pays aux intérêts américains et européens.

Quand c’est toute une société qui est atteinte de cette pathologie de « l’être d’emprunt », il n’y a pas d’autre expression pour désigner cette société que l’expression de « société imbécile ». Une société de moutons de panurge, qui ne sait ni s’organiser pour être libre, ni compter sur ses propres jambes pour se mettre debout, ni se donner des repères propres pour avancer, ni s’adosser sur ses propres normes pour affronter l’avenir. Une telle société ne peut qu’en arriver, comme le Zaïre de Mobutu, à « jouir » de la dictature en dansant pour le dictateur. Elle en arrive à mettre complètement sa foi et son espérance en lui, à l’aimer et à lui faire confiance quand celui-ci prétend la conduire au développement conçu comme l’appropriation du monde de vie du néo-colonisateur. C’est quand le dictateur, dans ses bouffonneries et ses mégalomanies délirantes ainsi que par sa politique erratique, conduit le pays à la faillite, que le peuple comprend enfin qu’il ne peut pas y avoir de développement en situation néo-coloniale, que développement rime avec liberté créatrice et avec organisation des énergies inventives, dans le cadre d’un projet d’indépendance qui vise l’être même de chaque citoyen, l’état mental de la société et la volonté de toute la nation pour sortir du système de néo-colonisation mentale et de ses chaînes socio-politico-économiques.

J’avais pensé que l’effondrement du pays sous le mobutisme nous avait ouvert les yeux sur ces réalités et qu’il pouvait nous servir de point de repère en vue d’imaginer une indépendance réelle pour notre pays. Lorsque j’ai vu comment le même système a repris le poil de la bête avec les nouvelles élites kabilistes, j’ai vite déchanté et j’ai orienté ma pensée vers la recherche de nouveaux ancrages capables de faire comprendre à toute notre nation que nous sommes devenus une société imbécile et qu’il faut maintenant, si nous voulons une vraie indépendance, lutter contre cette imbécillité.

En quoi consiste une telle lutte ? A poser les conditions d’une reconversion de nos désirs, d’une réorientation de notre imaginaire et d’une nouvelle organisation de nos institutions sociales et politiques en vue d’une libération profonde de nos énergies créatrices et inventives, loin de la coercition néo-coloniale.

La conversion de nos désirs. Il s’agit d’une dynamique de re-centralisation du sens de ce que nous voulons être sur nos capacités intérieures à répondre vigoureusement aux besoins liés aux trois pôles de la vie dégagées par Hannah Arendt : le travail pour répondre aux besoins primaires, l’œuvre pour construire une civilisation congolaise fondées sur des infrastructures, des institutions et des organisations qui durent et s’imposent comme nos créations où se manifestent notre génie, et l’action en tant qu’exercice de notre liberté comme personne et comme peuple. Personne et peuple qu’aucune personne ni aucun peuple ne peuvent dominer, soumettre, asservir ou manipuler de quelque manière que ce soit.

Perçue sous cet angle, notre indépendance est encore devant nous. Elle est à bâtir avec des personnalités complètement désaliénées, dont les référentiels mentaux et les dynamiques de l’imaginaire structurent l’ambition d’inventer un Congo d’engagement pour transformer notre société de fond en comble, grâce à des stratégies d’une révolution communautaire qui serait aux antipodes des diktats d’une mondialisation néo-libérale aujourd’hui triomphante non pas seulement dans le système profond de nos désirs, mais dans nos mentalité en tant qu’elles sont fragiles et impuissantes, extraverties et dominées : les mentalités d’hommes et des femmes dont le destin dépend des décisions des autres, particulièrement des « seigneurs et maîtres du monde » ainsi que de « petites mains du capitalisme » dont aime parler J.P. Mbelu dans ses analyses de notre situation.

Devenir indépendant, pour le peuple congolais, c’est opérer une révolution mentale de grande ampleur, où nous nous pensons, où nous nous percevons, où nous nous posons et imposons comme des êtres réellement et profondément libres, c’est-à-dire, créateurs de notre propre destinée, inventeurs de notre propre avenir, des Congolais et Congolaises « debout », « unis dans l’effort pour l’indépendance », dressant les « fronts » et prenant « l’élan » nécessaire pour casser les déterminismes et les fatalismes que l’ordre néo-colonial nous a imposés comme principes de mentalités.

De tels Congolais et Congolaises, il faut les engendrer encore, à travers un nouveau système éducatif centrée sur l’éthique de la « grandeur », éthique sans laquelle toutes nos utopies seront vaines et toutes nos espérances dénuées de sens.

L’éducation devient ainsi le moteur de l’indépendance, dans un système de formation humaine qu’il nous faut encore inventer sur la base des convictions fortes pour sortir de la société imbécile qui est la nôtre aujourd’hui : une société irrationnelle, incohérente, désorganisée, désarticulée, mentalement détraquée et paralysée par de multiples impuissances politiques, économiques, sociales, culturelles et spirituelles partout visibles à l’œil nu.

Face à une telle société, l’invention et la promotion d’une personnalité de confiance en nous-mêmes et d’initiatives pour changer les réalités présentes sont les véritables garanties de notre indépendance dans un monde comme celui dans lequel nous vivons. Un monde encore dominé par des compétitions féroces et d’implacables volontés de puissances au sein d’un ordre ultra-libéral qu’il nous faudra apprendre à affronter avec un projet alternatif d’une liberté fertilisée par des solidarités créatives, nos seules chances d’avenir. Cette indépendance-là, elle est encore devant nous comme une immense tâche et comme une grandiose espérance.

(*)Philosophe et théologien

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